Capitalisme et crise climatique

Il ne faut pas se surprendre des reculs actuels dans la lutte pour juguler la crise climatique. Dans le cadre du capitalisme, si certaines mesures de mitigation sont possibles, la véritable solution est hors d’atteinte. Après avoir donné l’impression d’amorcer le virage salutaire, nos gouvernements se laissent maintenant entraîner dans le sillage du méga rafiot étatsunien, dont le capitaine commande l’accélération vers le naufrage climatique.

On abaisse la barre déjà trop basse

Au moment où se tient au Brésil la 30e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 30), on a raison de rappeler que l’Accord de Paris, conclu à la COP 21 il y a dix ans, a contribué à réduire la progression du réchauffement global. L’engagement auquel souscrivaient alors les États participants était toutefois insuffisant pour renverser la tendance. Qui plus est, le contrat n’a pas été intégralement respecté. Enfin, l’annonce du retrait des États-Unis au début de 2025 n’a pas arrangé les choses.

La réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et l’adaptation aux perturbations climatiques sont évidemment nécessaires, mais tant que nous en restons à des mesures d’atténuation, le mal continue de progresser. Par exemple, la taxe carbone canadienne donnait l’impression que le gouvernement agissait sérieusement contre le réchauffement planétaire. Toutefois, la réduction des émissions de GES due à cette solution est demeurée très faible. Dans leur essai Pour une écologie du 99% (Écosociété, 2021), les auteurs, Legault, Theurillat-Cloutier et Savard, ont bien montré que le marché du carbone est une fausse piste. Une piste dangereuse, en définitive, puisqu’elle consiste essentiellement à vendre aux entreprises le droit de polluer. Et voici que la menace venue de notre voisin du sud est prétexte à réduire les efforts déjà insuffisants. Tandis que l’urgence de la situation demanderait de couper complètement les vivres à l’industrie des énergies fossiles, le gouvernement de Mark Carney s’affaire à justifier son appui à de nouveaux projets au profit de cette industrie.

Ni le capitalisme libéral, ni le capitalisme d’État

Les partis au pouvoir à Ottawa et à Québec, malgré leurs prétentions, sont irréalistes face à la crise climatique. Englués dans le culte à l’économie productiviste sans frein, ils demeurent incapables de s’attaquer à la cause profonde du dérèglement climatique. Pourtant, on devrait avoir pris acte depuis longtemps de la propension du capitalisme à épuiser les ressources terrestres. Cet aspect moins connu de la théorie marxiste a été étayé entre autres par Henri Peña-Ruiz dans son livre Karl Marx penseur de l’écologie (Seuil, 2018). Pour l’essayiste, la critique formulée par Marx et Engels à l’endroit du capitalisme consiste fondamentalement à révéler comment les rapports sociaux de domination à l’œuvre dans le système lui permettent de nier sa responsabilité à l’égard des dommages causés par sa fuite en avant productiviste. Peña-Ruiz ne dédouane pas pour autant le prétendu communisme de type stalinien. Il renvoie dos à dos les deux systèmes, constatant l’incompatibilité de l’un et de l’autre avec la poursuite viable de l’évolution humaine.

Unir les luttes pour un changement profond

Dans le contexte actuel au Québec, quelle vision économique et sociétale nous propose notre premier ministre François Legault? Si nous ne prenons pas les bonnes décisions, dit-il, nous risquons de subir une baisse de notre niveau de vie. Mais le niveau de vie auquel il pense est-il vraiment celui auquel nous aspirons? En réalité, ce fameux niveau de vie n’est enviable que sous un angle de vue bien étroit.

Pourquoi nous satisfaire de cette vision étriquée? Pourquoi accepter de vivre dans un système où une minorité s’enrichit aux dépens de ceux qui produisent la richesse, tout en détruisant l’habitat de l’espèce humaine? Au-delà de la caractérisation du capitalisme en tant que mode économique fondé sur l’exploitation d’une masse de travailleurs, il faut le voir comme une réalité sociale plus vaste, nourrie à même les sphères non-économiques de la société, notamment la nature. La philosophe new-yorkaise Nancy Fraser a récemment publié un essai éclairant sur la question (Le capitalisme est un cannibalisme, Agone, 2025). Selon la professeure à la New School for Social Research, « plus qu’une relation au travail, le capital est […] aussi une relation à la nature – une relation cannibale, extractive, qui consomme toujours plus de richesses biophysiques afin d’amasser toujours plus de  » valeur « , tout en niant les  » externalités  » environnementales. » (p. 171). L’analyse de Nancy Fraser confirme que l’épuisement des écosystèmes est inscrit dans le code génétique du capitalisme. Mais elle prolonge la pensée de Marx en mettant en lumière comment le capitalisme cannibalise la démocratie, le prendre soin et l’environnement, se nourrissant aussi de toutes les formes de ségrégation, dont le racisme et la discrimination liée au genre. Nancy Fraser favorise ainsi le rassemblement des luttes sectorielles dans un front uni « anti-hégémonique », condition essentielle d’un changement en profondeur.

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