L’espoir et l’action, cercle vertueux

[Ce texte est paru sur les plateformes numériques du journal Le Devoir, le 1er avril 2025.]

Faut-il désespérer de ce qui nous arrive? Depuis le 20 janvier dernier, le gouvernement des États-Unis a plongé le monde dans une situation à peine imaginable. Comme beaucoup d’entre nous, le contexte heurte ma sensibilité. Paradoxalement, je trouve un peu de réconfort à fréquenter les médias d’information dits traditionnels, en particulier à la lecture du journal Le Devoir. Je suis réconforté par le contact, même différé, avec tous ces autres qui, comme moi, cherchent à comprendre, voudraient donner un sens aux événements et dégager des voies de passage. Je constate que nous sommes nombreux à refuser de nous résigner au recul de nos acquis sociaux. Résister, c’est déjà beaucoup. Mais ne pourrait-on voir dans la crise actuelle une occasion de nouvelles avancées?

Notre désir d’agir

 De l’ensemble des commentaires ayant retenu mon attention ces dernières semaines, je perçois un fort consensus quant à la nécessité d’agir. Dans sa chronique du 5 mars, Jean-François Lisée me piquait au vif en l’exprimant sous forme de question. « Que répondrez-vous », écrivait-il, lorsque vos petits-enfants vous demanderont « qu’avez-vous fait pour que l’indécence échoue? » Au contraire, dans un texte d’opinion paru le lendemain, Jérémie McEwen préconisait le repli. Selon l’essayiste, il faudrait « accepter, un temps du moins, le désespoir. » À cette posture de tendance stoïciste, Maya Ombasic répondait avec aplomb, le 12 mars : « cet espoir résistant en des lendemains meilleurs que tu nommes « l’espérance » […] me semble, contrairement à ce que tu dénonces, l’ingrédient principal de notre nourriture terrestre qui s’appelle le sens de la vie. » À la vision du cercle et de l’histoire qui se répète à l’infini, Ombasic opposait l’image de la spirale, une évocation plus inspirante de la trajectoire humaine en évolution. Par ailleurs, dans la foulée de la prise de position de McEwen, je trouvais, dans de nombreux autres textes, des réponses indirectes à son défaitisme. Entre autres, Émilie Nicolas, aucunement dans le désespoir, affirmait le 6 mars sa confiance en « notre capacité humaine à nous battre pour notre dignité ». Aurélie Lanctôt nous rappelait pour sa part, la veille du 8 mars, que le monde serait encore plus ingrat, et pas seulement pour les femmes, sans l’apport des luttes féministes.

Agir les yeux ouverts

Si le désir d’agir, nourri par l’espoir, domine manifestement le paysage, l’orientation de l’action m’apparaît brouillée par des mirages persistants. Un bon nombre d’acteurs voient dans la guerre tarifaire entamée par les États-Unis un cataclysme comparable à une pandémie, ou encore à un événement climatique extrême, exigeant l’abandon momentané de nos revendications collectives, afin de mobiliser toutes les énergies vers le retour à la « normale ». Or, la conjoncture mondiale actuelle n’est pas un accident, encore moins une intervention divine. Nous assistons au dérapage incontrôlé, mais prévisible, d’un système productiviste et extractiviste en quête de prolongation. L’orientation actuelle des États-Unis pourrait se maintenir au-delà des quatre années prévues. D’une part, on a vu ailleurs des potentats s’arroger le titre de président à vie. Il y a fort à parier que le locataire actuel de la Maison-Blanche tentera de s’accrocher au pouvoir, avec toute la pugnacité dont il a fait preuve pour s’y hisser. D’autre part, il serait imprudent de considérer ce président comme une anomalie. Son successeur pourrait être de la même trempe, ou pire. Le mal dont est atteint notre voisin du sud pourrait aussi se répandre jusque chez nous. D’où l’importance de mesures énergiques pour s’en prémunir.

Agir en regardant devant

Pour certains commentateurs, l’Europe et le Canada sont désormais à la tête du « monde libre ». Or, ce monde dit libre est celui des démocraties libérales, un monde néanmoins asservi aux intérêts du capital, où l’exploitation paraît acceptable, dans la mesure où les conditions matérielles de vie de la majorité sont réputées supérieures à la moyenne mondiale. En réalité, la liberté dans ces pays est surtout celle de vendre sa force de travail et de consommer des biens matériels, dont le besoin est suscité artificiellement, par la création d’un environnement publicitaire abrutissant. Ce monde libre est celui de pays dominants, où le niveau de vie d’une classe dite moyenne est assuré par l’expropriation des ressources et l’exploitation brutale des populations de pays dominés.

Ce n’est donc pas l’indécence au pouvoir en ce moment aux États-Unis qu’il faut combattre, mais bien l’indécent déficit démocratique du capitalisme planétaire, où le devenir de l’immense majorité est partout assujetti aux décisions d’une infime minorité. Il serait vain de considérer l’avant du 20 janvier 2025 comme un paradis perdu. La seule perspective viable pour l’humanité est celle de la mobilisation solidaire des peuples pour l’instauration d’une démocratie radicale.

Commentaires

  1. Je retiens tout particulièrement ce diagnostic, que je partage :
    « la conjoncture mondiale actuelle n’est pas un accident, encore moins une intervention divine. Nous assistons au dérapage incontrôlé, mais prévisible, d’un système productiviste et extractiviste en quête de prolongation. »

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