Je ne voudrais pas de Sylvain Tesson pour parrain

La chronique de Christian Rioux dans Le Devoir du vendredi 26 janvier a le mérite d’attirer notre attention sur un fait plutôt réjouissant : la littérature alimente toujours les passions en France. En effet, le choix de l’écrivain Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des poètes en 2024 soulève une véritable tempête médiatique dans l’Hexagone. Toutefois, le point de vue du chroniqueur sur la controverse me semble erroné.

La gauche et la liberté d’expression

            Précisons d’abord que je lis régulièrement la chronique de Christian Rioux et que je suis souvent d’accord avec sa défense de valeurs héritées des Lumières, notamment la liberté d’expression. Mais je suis aussi généralement outré par l’étalage de sa hargne contre ce qu’il considère être la gauche aujourd’hui. Car il est trop facile de considérer toute la mouvance de gauche en bloc, sans faire les distinctions qui s’imposent. Il y a des débats dans la gauche, fort heureusement. Les contours de ce qui constitue la gauche se redéfinissent continûment, à l’épreuve des faits et de l’histoire. Prenons un exemple. Pour demeurer dans le thème de la liberté d’expression, disons qu’un petit groupe tapageur réclame l’interruption d’une pièce de théâtre où des personnages noirs sont représentés par des non-noirs. Ce petit groupe est-il de gauche du simple fait qu’il se définisse comme tel? Serait-on justifié d’associer cette action à la gauche parce qu’on y voit des gens brandir des pancartes? Certains répondront peut-être oui, mais je pencherais plutôt pour le non. Considérant que leur action a atteint son but, des personnes ont empêché la diffusion d’une pièce dénonçant l’esclavage. Il me semble qu’à cette occasion c’est la droite qui a marqué des points. Reste que le plus important n’est pas de nous entendre sur qui est de gauche ou ne l’est pas. Il importe surtout de nous entendre sur les valeurs à partager et sur les implications concrètes de ce partage.

Un parrain contesté

            Revenons donc à la controverse au sujet du festival de littérature le Printemps des poètes. Les responsables de l’organisation ont nommé l’écrivain Sylvain Tesson « parrain » de la prochaine édition de l’événement, prévue en mars 2024. Dans la foulée, 1200 écrivains et acteurs du milieu culturel français ont signé une pétition exprimant leur rejet de cette décision et leur refus de voir le monde de la poésie représenté par Sylvain Tesson. Comme le rapporte Christian Rioux, le texte de la pétition identifie l’auteur de La panthère des neiges comme une figure de l’« extrême-droite littéraire ». Or, la publication de la pétition en tant que tribune dans le journal Libération a provoqué une importante vague de soutien à Sylvain Tesson, de la part notamment de la ministre de la Culture et de nombreux médias, plutôt campés à droite il faut le dire. Et c’est maintenant la plume anti-gauche de service au Devoir qui se joint au concert d’éloges à propos de l’« écrivain voyageur ». Oh Horreur! Un des plus grands écrivains de la France est persécuté par ses pairs! Cela me rappelle les hauts cris poussés par quelques figures élitistes du Québec lorsque Charles Dutoit fut forcé de quitter la direction de l’OSM, il y a plus de vingt ans. Charles Dutoit avait sans aucun doute de grandes qualités comme chef d’orchestre, mais les musiciens se considéraient harcelés sous sa direction. Les circonstances inusitées de son départ constituaient une victoire pour la démocratie.

Mais a-t-on vraiment besoin d’un parrain?

            Je crois que Christian Rioux, comme beaucoup d’intervenants dans le débat, se trompe de cible et tient un discours fortement biaisé. Le jugement sur l’œuvre de Sylvain Tesson est variable et ce n’est pas le véritable objet en cause. Bien sûr, le texte de la pétition manque de rigueur et comporte des contradictions. Mais le problème réside surtout dans le fait qu’on veuille imposer à un milieu, par le haut, un parrain qui, visiblement, ne fait pas l’unanimité. Que cette velléité soit contestée atteste de la vitalité du milieu. Un festival n’a peut-être pas besoin de figure tutélaire pour célébrer la poésie dans toute sa diversité.

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