Le numéro d’automne 2023 du magazine Nuit Blanche (no 172) est en bonne partie dédié à la mémoire de Milan Kundera, décédé en juillet de cette année. Les témoignages publiés pour l’occasion m’interpellent. Ils me donnent envie d’ajouter mon grain de sel, en affirmant qu’on peut admirer l’œuvre du romancier et détester la posture qu’il adopte dans ses essais.
En ce qui concerne les romans, je me reconnais tout à fait dans les propos de René Bolduc (« Trouver Kundera », p. 37-38). Dans son texte, Bolduc relate avoir pris la résolution, en terminant sa lecture de L’insoutenable légèreté de l’être, de tout lire de l’écrivain tchécoslovaque. Je peux dire pour ma part que Kundera est le seul auteur dont je relis encore avec plaisir les romans, même après les avoir lus plus d’une fois. Il y aurait beaucoup à dire par ailleurs sur les multiples possibilités d’interprétation de chacune de ces œuvres, mais ce n’est pas l’essentiel de mon propos ici.
L’essayiste Kundera semble considérer son art du roman comme le seul valable. Ne devrait-on pas trouver cette attitude risible? C’est en tout cas absolument contradictoire avec la démarche du romancier. Comme le note avec justesse Jean-Paul Beaumier («Milan Kundera. De l’insoutenable légèreté de l’être à l’insatiable quête de beauté», p. 34-36), les romans de Kundera sont « le lieu de tous les possibles, de toutes les libertés, l’expression la plus pure de la créativité. » C’est bien là selon moi la grande leçon à retenir de la manière Kundera : le roman n’a pas de comptes à rendre, même pas à Kundera. De même, le « kitsch » est un concept vague et c’est ce qui fait son intérêt. La définition qu’en donne l’auteur de L’art du roman se bute à l’usage, qui s’entête à en faire un équivalent du « mauvais goût ». La réalité à laquelle on l’applique ne peut être que relative.
La plupart des commentateurs, dont Kateri Lemmens (« Que me restera-t-il de Milan Kundera? », p. 30-33), affirment inlassablement que l’œuvre du romancier est marquée par le désengagement politique. Et ils y voient, plus ou moins explicitement, une voie à suivre. Premièrement, cette observation me semble infondée, dans la mesure où, avec ou sans déclaration d’engagement, le discours d’un auteur a toujours une portée politique. Mais qu’importe la teneur politique des romans de Kundera, il faut reconnaître la liberté de tout romancier face à cette dimension. Le roman ne peut être astreint ni au sérieux ni au cynisme. Un roman comportant une adhésion manifeste à une mouvance politique ou à une idéologie sera encore un roman. L’art du roman doit être libre, pour l’un et tous les autres.