L’écrivain réel et sa version fantasmée

[Ce texte a été soumis le 23 mars 2023 au journal Le Devoir, qui ne l’a pas publié.]

Par Gérald Baril, collaborateur au magazine littéraire Nuit Blanche et membre de l’UNEQ

La récente modification de la législation sur le statut de l’artiste a conféré de nouvelles responsabilités à l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ). Dans la foulée, certaines décisions prises par le syndicat ont suscité une controverse, mettant au jour des conceptions contrastées de la réalité des écrivains aujourd’hui. D’une part, l’UNEQ promeut les intérêts socioéconomiques d’une diversité d’artistes de la littérature; d’autre part, des écrivains et d’anciens dirigeants de l’UNEQ se portent à la défense d’une conception idéalisée de l’écrivain.

Solitaires et solidaires

Nul ne sait si les membres de l’UNEQ adopteront, lors de la prochaine assemblée générale extraordinaire, la proposition de prélever une cotisation syndicale sur les revenus de tous les artistes de la littérature, qu’ils soient membres ou non du syndicat. On sait toutefois que l’UNEQ, au début de l’année 2018, énonçait comme premier objectif de son plan stratégique pour les quatre années à venir : « Agir pour rendre obligatoires des normes équitables liées à la pratique du métier d’écrivain. » Loin d’être contesté, cet objectif a suscité la mobilisation des membres. Entre autres, une lettre ouverte fut publiée en 2021 dans sept quotidiens québécois, laquelle réclamait une loi pour assurer au écrivains les mêmes protections que celles accordées aux artistes de la scène, du disque et du cinéma. Cette lettre fut signée par plus de 1000 écrivains et 200 alliés du domaine de la culture. Peut-être certaines personnes ont-elles signé cette lettre sans prévoir les implications concrètes du mandat revendiqué par leur syndicat. C’est là qu’interviennent deux visions divergentes.

À les lire, certains écrivains semblent vouloir se constituer en une espèce à part. Plusieurs parmi eux semblent penser qu’ils n’ont que des droits et pas de devoirs. D’autres, au contraire, vénèrent le titre au point de ne pas oser y prétendre. On évoque la dissidence, la magie de l’écriture, un domaine sacré. Dans un commentaire en réaction à une intervention de la présidente Suzanne Aubry à propos de la solidarité, on apprend que parler d’écrivain syndiqué est un oxymore. Le réputé Yvon Rivard déclare quant à lui résister « à l’idée qu’écrire soit un métier comme les autres ». Derrière tout cela se profile une confusion. Il y a en effet de la grandeur dans l’acte d’écrire et dans la littérature. Il est notoire que certaines œuvres ont sur leurs lecteurs un effet transcendant. Mais par quelle logique cela devrait-il condamner des auteurs à la précarité socioéconomique?

L’obtention de meilleures conditions de pratique pour les artistes de la littérature exige que ceux-ci se regroupent et formulent leurs demandes d’une même voix. Par contre, les débats sur la définition de l’écrivain et de la littérature sont d’un tout autre ordre. Comme l’a bien montré Alexandre Gefen dans L’idée de littérature (Corti, 2021), nous assistons depuis plusieurs décennies à une diversification des formes d’écriture et des canaux de diffusion des écrits, partout sur la planète. Et en même temps que s’élargit le champ littéraire, la vision romantique de l’écrivain, étranger aux problèmes de la cité, est progressivement battue en brèche par ceux qui se sentent responsables de témoigner des dérives de leur monde. Diverses conceptions peuvent susciter le débat sans que cela nuise par ailleurs à des ententes collectives avec les éditeurs.

Maison des écrivains ou maison de la littérature?

La décision du conseil d’administration de l’UNEQ de vendre la Maison des écrivains a fait couler beaucoup d’encre. En réponse aux objections, un moratoire sur la vente sera proposé afin de laisser le temps aux éventuels intéressés de développer un projet de sauvegarde. Là aussi, les conceptions de l’écrivain réel et de l’écrivain fantasmé s’opposent, mais elles peuvent être conciliées, à condition d’opérer certaines distinctions.

Depuis sa fondation, l’UNEQ a endossé la double mission de promotion de la littérature québécoise et des intérêts de ses membres. Il est peut-être temps maintenant de considérer avec plus de conséquence le fait suivant : la défense des intérêts socioéconomiques des artistes de la littérature incombe entièrement et exclusivement à leur syndicat, tandis que la promotion de la littérature québécoise est une mission qui doit être partagée beaucoup plus largement. Sous cet angle, il est dans l’ordre des choses que l’UNEQ soit logée dans des bureaux qui conviennent à sa mission syndicale. De même, elle devrait naturellement collaborer au maintien et à l’animation, non pas d’une maison des écrivains, mais d’une maison de la littérature.

Si les acteurs concernés s’orientaient dans cette voie, il n’est pas certain que la maison de la rue Laval convienne à un projet de maison de la littérature de l’envergure souhaitable pour Montréal. Mais la métropole compte sûrement sur son territoire un bâtiment compatible avec la promotion de notre littérature. À défaut, la ville pourrait offrir un espace sur lequel construire un édifice réellement adapté à cette mission essentielle.

Commentaires

  1. Ce texte nous fait réfléchir : il y a le travail de l’écrivain, qui est un travail comme n’importe quel autre travail, et il y a la réception de ce travail, qui est la littérature.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *